RECHERCHE SCIENTIFIQUE AU SÉNÉGAL : L’URGENCE DE TRANSFORMER LE SAVOIR EN RICHESSE ÉCONOMIQUE
Dakar a abrité ce jeudi 11 décembre 2025, une rencontre stratégique co-organisée par l’ANRSA et le Système des Nations Unies. L’objectif clairement affiché est de briser les murs entre les laboratoires et le marché pour que l’innovation "Made in Senegal" devienne enfin un moteur de croissance et d’emplois.
C’est un paradoxe sénégalais qui dure depuis trop longtemps. D’un côté, des universités et des instituts de recherche qui regorgent de talents, de brevets et de prototypes innovants. De l’autre, un tissu économique en quête de solutions pour améliorer sa productivité, mais qui ignore souvent que ces solutions dorment dans les tiroirs des laboratoires voisins. Pour combler ce fossé, l’Agence Nationale de la Recherche Scientifique Appliquée (ANRSA) a organisé la « Journée d’Échanges et de Partenariat sur la Valorisation Économique des Résultats de la Recherche ».
L’événement, placé sous le signe de l’action, s’aligne sur l’Agenda National de Transformation « Sénégal 2050 ». Il ne s’agit plus seulement de chercher, mais de trouver et, surtout, de vendre et d’appliquer.
Le « chaînon manquant » de l’innovation
Si l’État a fait de la Recherche et de l’Innovation (R&I) une priorité budgétaire, le passage du prototype à la production industrielle reste le maillon faible. Faute de mécanismes de transfert technologique efficaces, le potentiel scientifique peine à se muer en impact socio-économique.
Le Dr Lamine SANÉ, Directeur Général de l’ANRSA, a posé un diagnostic lucide dès l’ouverture des travaux. Selon lui, le problème n’est pas la qualité de la science sénégalaise, mais son atterrissage dans le réel.
« Le constat que nous avons tous fait, c’est qu’à travers nos laboratoires de recherche, à travers nos universités et nos instituts, les chercheurs sénégalais produisent de bons résultats qui peuvent adresser les problèmes locaux », a déclaré le Dr SANÉ.
Il poursuit en soulignant l’urgence de la situation : « Le souci maintenant est relatif à la non-application de ces résultats pour résoudre nos propres problèmes. C’est dans ce cadre-là que nous avons co-organisé cette journée avec le système des Nations Unies au Sénégal, pour discuter des méthodologies, des outils et des techniques de financement qui pourront permettre de pouvoir appliquer réellement ces résultats pour le bénéfice des Sénégalais. »
Sen_ReVaRT : L’outil de la rupture
Pour passer des vœux pieux à la réalité, un instrument concret a été mis en avant : le réseau Sen_ReVaRT (Réseau Sénégalais de Valorisation des Résultats de la Recherche, de Transfert de Technologies et de Coopération scientifique). Installé depuis juillet dernier, ce dispositif vise à créer une interface unique entre le monde académique et le secteur privé.
Une convention majeure a été signée lors de cette journée, scellant l’adhésion des universités publiques à ce réseau. L’idée est d’accompagner les inventeurs sur toute la chaîne de valeur, de la protection de la propriété intellectuelle jusqu’à la levée de fonds.
Le nerf de la guerre : Diversifier le financement
Toutefois, transformer une idée en entreprise demande des capitaux. Sur ce point, le Professeur Mamadou SARR, Directeur Général de l’Université Rose Dieng France-Sénégal et porte-parole des universités publiques, appelle à un changement de paradigme. Il ne faut plus tout attendre des subventions classiques ; les universités doivent devenir proactives.
« Le financement de la recherche passera forcément par une stratégie de diversification et de mobilisation des ressources additionnelles pour appuyer l’écosystème de la recherche au sein des universités », explique le Pr SARR.
Il détaille les pistes concrètes pour capter ces fonds : « Ça peut aller depuis des bureaux d’études, depuis la vente d’expertise, mais également de capter les fonds compétitifs à l’échelle internationale. Il y a des lignes financières au sein des bailleurs qu’il faudra capter par des bureaux de montage de projets, communément appelés ailleurs des « grant writing office ». »
Pour le Pr SARR, cette approche entrepreneuriale des universités est indispensable pour générer des « ressources internes propres » capables de soutenir l’innovation sur le long terme.
Vers une économie du savoir
Cette journée marque une étape décisive dans l’alignement du Sénégal avec la vision « Nations Unies 2.0 », qui prône l’utilisation de la science et des données pour accélérer les Objectifs de Développement Durable (ODD). En connectant enfin le cerveau du chercheur au portefeuille de l’investisseur, le Sénégal espère transformer son capital gris en or économique, créant ainsi des emplois qualifiés pour sa jeunesse et assurant sa souveraineté technologique.
