Foule bondée, calme imposant. Canicule terrible, les carreaux « marbrés » refoulent une chaleur incandescente. Pourtant, dehors les fidèles y prennent place, stoïques. Mon garçon, Bamba, à mes côtés, râle, pas content du tout. Je lui désigne du doigt les enfants de son âge qui jouent tranquillement, en haillons, et tendent la main au passant attentif. Il se tait. Il semble atteint. Donc, un problème de réglé.
Je cherche des yeux une place pour m’asseoir. Un jeune homme, la trentaine, m’offre la sienne et s’assoit tranquillement sur le sol étouffant. Je proteste, il ne bouge pas et semble plongé dans la méditation du sermon de l’Imam.
Je pense à Marcel Mauss. Il disait que l’ordre social est construit à partir de l’échange, du don et du contre-don. Même l’institution du mariage obéit à ce rite immuable : je donne la main de ma sœur pour prendre la main de la sœur d’un autre voisin sur cette terre. Je cherche le moyen de rétribuer mon bienfaiteur de cette belle action, donc le contre-don (un sourire, une poignée de mains, une parole réconfortante ou même un billet de banque après la prière ?).
Pourquoi penser à Mauss, ce mécréant, au moment où l’Imam fait son sermon ? J’essaie de chasser de mon esprit l’image de l’anthropologue français pour des références plus décentes, plus conformes en ces lieux…Ibn Arabie, Gazali, Imam Anbal, El Hadji Malick ou, mieux, le Maître des lieux Serigne Touba… Non, je ne peux pas : je n’ai que Mauss en tête.
RM, facétieux, qui nous a rejoints, me souffle à l’oreille: « l’esprit est libre. Mais ta pensée t’a fourvoyé. Mauss n’a pas raison. Ici, le garçon n’attend rien de toi. Il ne donne pas, il abandonne sa place pour toi. Pour en acquérir une autre plus élevée auprès de son Seigneur. Assis sur le carrelage incandescent, il travaille pour sa rédemption. Il ne veut pas vivre deux fois les tourments de la chaleur. Tu lui permets d’éprouver définitivement le fiel de la Géhenne sur terre et il t’en sait gré.
Tu n’es pas Maussien, tu es mouride. C’est dans l’abandon résolu à Dieu, le Don total (sans attente d’un contre-don !) que Bamba a vaincu le désert mauritanien de Sarsara. Il nous est aussi revenu victorieux de la forêt hostile de Mayomba au Gabon après sept (7) ans d’exil en abandonnant sa famille, son pays, ses fidèles. Ensuite, il a pardonné à aux colons français qui ont pensé l’éprouver. En réalité, ils lui ont permis de devenir ainsi ‘’Serviteur du Prophète’’, Khadimou Rassoul ».
« Donner sans rien attendre en retour », comme dit la chanson. J’allais presque la fredonner (Astakh firoullah) lorsque l’Imam se lève pour la prière et rappela aux fidèles la nécessité d’avoir des files droites, épaule contre épaule…
Bon week end !
Abdoulaye NIANE
