Le 9 août dernier, les acteurs territoriaux ont lancé officiellement le pôle Casamance à Sédhiou.
C’est l’aboutissement d’un cheminement des collectivités du sud du pays depuis le fameux appel de son Excellence Macky Sall lors du conseil des ministres décentralisé à Ziguinchor le mercredi 27 juin 2012. Conscients de la pertinence de la vision du président de la République, 113 communes et 9 départements avaient décidé d’un commun accord d’aller à ce pôle conformément à l’ingénieuse idée de la territorialisation des politiques publiques.
Ce qui est remarquable dès lors, c’est que le Pôle Casamance, nanti de ses 1.700.000 habitants et couvrant une superficie de 28350 km2, tel qu’il est sorti de l’imagination fertile du Président de la République, continue de susciter un énorme enthousiasme populaire et emporte l’adhésion de tous les fils de la Casamance. Cet élan populaire est fortifié par ce génie du chef de l’Etat qui avait jeté les bases d’un nouveau paradigme d’une ingénierie territoriale qui allait inaugurer l’ère d’une requalification des projets structurants et des programmes porteurs pour mettre la Casamance sur les rampes du développement.
Toutefois, de plus en plus l’enthousiasme généralisé a laissé place à des hésitations, du moins du côté de Sédhiou. Allez savoir !
C’était lors du conseil des ministres délocalisé de Ziguinchor le mercredi 27 juin 2012 que le Président de la République avait déclaré à la face du monde cette généreuse idée qui postule pour « l’option de territorialisation et projet territoire de l’Etat en Casamance ». Celui de Saint-Louis tenu le 7 juin 2012 a réitéré l’idée qui s’adossait sur l’Acte III de la Décentralisation annoncé à cet effet. Cela devrait déboucher sur une réelle politique de valorisation des territoires d’ici 2022. Conséquent avec lui-même, il passera à l’action – à l’acte devrais-je dire ! – en lançant officiellement l’Acte III lors du CNDCL (Conseil national de développement des Collectivités Locales) au King Fahd Palace le 19 mars 2013. C’est du haut de la tribune du King Fadh Palace que le Chef de l’Etat avait montré sa ferme volonté « de faire émerger au Sénégal, des territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable ».
A partir de ce moment, la machine était mise en branle avec un rythme appréciable. Du coup, le décret n°2013-581 du 29 avril 2013 va porter sur les fonts baptismaux le CNP (Comité National de Pilotage) composé de 20 membres. Le mercredi 5 février 2014 le communiqué du conseil des ministres renouvelle cet engagement ferme de parachever l’Acte III par les Pôles Territoires et, par ailleurs, de faire de celui de la Casamance la zone d’expérimentation. Des fonds de 23 milliards de l’Etat du Sénégal et de la Banque Mondiale seront même annoncés pour redynamiser l’économie locale. Le pôle Casamance sera lancé officiellement en 2015.
Ce 9 aout donc, le pôle est né officiellement à… Sédhiou. C’est l’aboutissement logique d’un processus depuis la déclaration dite du 27 juin 2012. Mais au-delà du symbole qui fait de Sédhiou le lieu de naissance dudit pôle et en même temps l’ancienne capitale de la Casamance, il convient de mettre des garanties.
Il n’est nulle question ici de réflexe sectaire encore moins de repli identitaire. Mais il s’agit bien ici de problème d’équité et de justice sociale. C’est pourquoi, à notre humble avis, avant de sceller l’union et concrétiser effectivement l’acte de naissance de cette collectivité territoriale ou, au moins, à ses débuts, il faut, au préalable, régler trois grosses épines qui gêneraient la marche de cette nouvelle entité territoriale.
De prime abord, il faut un nivellement par le haut. Sédhiou doit être tirée vers le haut pour atteindre le niveau des régions voisines. En d’autres termes, elle doit recevoir un traitement de faveur qui lui permettrait de combler le gap astronomique qui la sépare, d’une part, de Kolda et, d’autre part, de Ziguinchor. C’est dire que Ziguinchor est une sorte de bourou kaf qui se sert d’abord à volonté avant que Sédhiou ne se serve. Même si depuis un certain temps on assiste à la réduction de l’écart, il n’en demeure pas moins que la région de la basse Casamance absorbe quasiment tous les moyens mis à la disposition de la Casamance. Elle concentre à elle seule pratiquement l’essentiel des projets et programmes, les ONG… Pire, elle s’adjuge la part du lion dans les investissements pourtant affectés à toutes les régions du sud. ANRAC et PPDC sont les preuves tangibles de ce réflexe d’accaparement des ressources de la Casamance. ANRAC et PUDC qui sont des cas d’école forment les illustrations les plus achevées. Pour l’ANRAC, par exemple, tous les directeurs généraux qui s’y sont succédés sont de Ziguinchor. Les Ziguinchorois s’y succèdent de manière automatique comme si c’est un poste dédié. C’est du « bateau dem bateau costé » sur le dos des Sédhiouois et Koldois. On pourrait en dire autant du PPDC. Comme si seuls les natifs de Ziguinchor qui seraient à même de conduire aux destinées des organismes et autres structures à vocation régionale. Pire, l’essentiel des agents est recruté dans cette région. Cela fait peur pour un éventuel regroupement en collectivité territoriale.
Ensuite, il faut sortir des conforts habituels. Car, Il est très facile et très confortable de quitter Dakar et de se rendre à Ziguinchor. Par la magie du vol aérien, le temps mis est de 45mn. C’est pourquoi il faut, à tout prix, éviter de faire de ce pôle un raccourci en temps et en espace. Autrement dit, pour des questions qui concernent toute la région naturelle de la Casamance, choisir de descendre à Ziguinchor et reprendre l’avion pourrait faire passer sous silence les problèmes des régions de Sédhiou et de Kolda et les isoler davantage.
Sous ce rapport, créer un pôle pour trouver un raccourci, c’est fouler au pied cette idée généreuse du Président de la République. S’il en est ainsi, si certaines autorités profitent de ce regroupement des régions pour pouvoir régler des questions de gain temps et d’espace, le pôle va être un désastre pour Kolda et Sédhiou qui vont s’enfoncer dans l’oubli et le marasme.
Enfin, la région de la moyenne Casamance est au centre sans avoir une position centrale dans cette entité. Si ce pôle doit migrer en collectivités territoriale, Sédhiou devrait en être la capitale. Rendre à Sédhiou sa capitale ce ne serait que justice dans la mesure où elle fut le chef-lieu avant qu’elle ne soit déchue en 1904 en faveur de Ziguinchor. Si le maitre-mot de la décentralisation c’est « rapprocher l’administration des administrés » alors Sédhiou en étant au centre (à équidistance entre Gouloumbou et Diogué, les deux extrêmes) reste le lieu indiqué pour en abriter le chef-lieu.
Si ces considérations ne sont pas prises en compte et que Ziguinchor continue d’étouffer ses sœurs comme Chronos ses fils, ce pôle serait un désastre pour Sédhiou qui en serait le grand perdant. Une situation similaire qui avait d’ailleurs amené Louga à refuser de faire pôle avec Diourbel pour éviter les diktats de Touba qui aspire à lui seul toutes les ressources de la région de Diourbel.
Toutes raisons qui font que si ces écueils ne sont pas levés et que Sédhiou est considérée comme la 5e roue de la charrette, l’équité territoriale ne serait pas réglée et le Sénégal de tous, le Sénégal pour tous serait un slogan creux. Et si Sédhiou est reléguée au second plan sa situation virerait de pôle territoire à rôle dérisoire.
Makama Ibrahima DIAKHATÈ
makamadiakhate@gmail.com
