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LE JOOLA OU LE NAUFRAGE DE LA CONSCIENCE (Par Elhadj FATY)

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Vingt-trois marées ont passé. Vingt-trois cycles de lune ont caressé de leur pâle lumière une mer indifférente, gardienne d’un silence trop lourd. Un quart de siècle, déjà, que le Joola, géant de bois devenu cercueil, a été happé par les abysses, un soir de colère où le ciel et l’océan ont conspiré.

Mais le temps, ce fleuve impitoyable, n’a pas emporté votre mémoire. Il l’a déposée sur le rivage de notre conscience, grain après grain, comme une épaisse chape de sable noir. Nous sentons encore le poids de vos âmes, près de deux mille vies, soudainement rendues à l’élément primordial. Élèves, mères, commerçants, rêveurs… Votre rire s’est éteint dans le grondement de la tempête, vos espoirs se sont dissous dans l’eau salée.

La mer, ce jour-là, n’était pas coupable. Elle n’a fait que son office, éternel et sauvage. Le vrai naufrage était peut-être avant le naufrage : dans l’inconscience, les négligences accumulées, les certitudes fragiles comme la coque d’un navire surchargé. Le naufrage est dans l’oubli qui a suivi, dans la difficulté à nommer les responsabilités, dans la douleur orpheline de justice.

Vingt-trois ans après, nous vous invoquons, naufragés de l’indifférence autant que des flots. Nous tendons l’oreille pour percevoir, sous le bruit des vagues, votre murmure qui monte des profondeurs. Ce n’est pas un cri de haine, mais une plainte douce et têtue, une exigence de vérité. Chaque nom absent est une stèle dans notre mémoire collective. Chaque vie interrompue est un chapitre arraché au livre de l’humanité.

Alors, en ce jour anniversaire où le passé cogne à la porte du présent, nous ne demandons pas seulement des comptes, bien que la Justice, cette lumière crue, soit le seul baume qui puisse panser les plaies ouvertes. Nous réclamons plus : une prise de conscience qui soit un phare, un changement de cap définitif.

Que votre sacrifice ne soit pas qu’une date gravée dans la pierre du deuil. Qu’il soit un rappel brûlant : la vie humaine est le seul cargo dont la valeur est infinie. Qu’il enseigne que la mer, si elle peut être une route, demeure un sanctuaire qui exige le respect, la prudence, et l’humilité.

Pour que les enfants de demain ne soient pas, à leur tour, les naufragés de nos légèretés, nous devons bâtir une arche de vigilance. Que les leçons du Joola soient inscrites non seulement dans les rapports, mais dans la chair de notre nation. Que la sécurité soit un serment fait à chaque passager qui embarque, un pacte sacré entre l’homme et la mer.

Reposez en paix, âmes du Joola. Que le courant doux des fonds marins berce votre éternité. Mais que votre souvenir soit un levain qui fermente dans nos cœurs et dans nos lois. Que vos deux mille voix, désormais silencieuses, deviennent une clameur si forte qu’elle empêche à jamais que l’hécatombe ne se reproduise.

Vingt-trois ans déjà. Que cela ne soit pas un simple constat, mais un engagement. Plus jamais cela. Pour vous. Pour nous. Pour ceux qui viendront après.

Elhadj FATY
Patriote Africain du Sénégal ✊🏽

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