RÉFLEXION DOMINICALE: DANS LE SECRET DES GRANDES VICTOIRES (Par Ndongo NDIAYE)

Il existe des victoires qui ne se résument jamais à un score, un trophée ou une ligne dans un palmarès. Ce sont des victoires qui racontent une histoire, qui semblent obéir à une logique invisible, presque scénarisée, comme si le sport et la vie, à certains moments précis, devenaient les décors d’un film dont l’issue dépasse les acteurs eux-mêmes. Derrière ces succès, il y a une story line, un fil narratif puissant, fait d’épreuves, de chutes, de résilience et, au bout du chemin, d’accomplissement.

Le sport, miroir fidèle de la condition humaine, regorge de ces scénarios dignes de Hollywood. La CAN 2021 remportée par le Sénégal en est l’une des illustrations les plus marquantes. Une nation de football reconnue pour son talent mais longtemps prisonnière de la malédiction des finales perdues. Un parcours laborieux, une équipe critiquée pour son jeu, une finale sous haute tension, un penalty manqué par le leader, symbole du doute et de la fragilité humaine. Puis vient la séance de tirs au but, l’instant de vérité, et ce même leader qui prend ses responsabilités pour offrir, enfin, la première étoile. La victoire devient alors rédemption, et l’histoire trouve son sens.

La CAN 2023 en Côte d’Ivoire pousse encore plus loin la dramaturgie. Pays organisateur humilié, au bord de l’élimination dès le premier tour, sauvé presque par accident, changeant d’entraîneur en pleine compétition. Tout semblait annoncer un échec retentissant. Et pourtant, match après match, l’équipe se reconstruit, portée par son public, jusqu’à soulever le trophée continental à domicile. Ce n’est plus seulement une victoire sportive, c’est une leçon universelle sur la capacité à renaître quand tout semble perdu.

À l’échelle mondiale, la Coupe du Monde 2022 au Qatar s’inscrit elle aussi dans cette logique narrative. Tout, ou presque, semblait écrit pour offrir à Lionel Messi le seul titre qui manquait à une carrière déjà légendaire. Une finale d’anthologie, des retournements incessants, un adversaire héroïque, une tension dramatique à son paroxysme, et une conclusion aux tirs au but. Le football, ce jour-là, n’a pas seulement couronné une équipe; il a refermé un chapitre majeur de l’histoire du sport, consacrant celui que beaucoup considèrent comme le plus grand joueur de tous les temps.

Bien avant ces exploits contemporains, d’autres victoires ont servi de fondation à des récits bien plus larges que le sport lui-même. En 1995, la victoire des Springboks lors de la Coupe du Monde de rugby, sous le regard de Nelson Mandela, reste l’un des scénarios les plus puissants jamais écrits. Un pays meurtri par l’apartheid, une nation à reconstruire, et un président qui choisit le symbole du pardon et de l’unité en arborant le maillot de ceux qui incarnaient hier l’oppression. Ce jour-là, le rugby devient langage politique et la victoire, acte fondateur de la nation arc-en-ciel.

Comment ne pas évoquer également la Zambie, championne d’Afrique en 2012, exactement dix-neuf ans après le crash aérien qui avait décimé toute sa sélection nationale? La finale se joue à Libreville, non loin du lieu du drame. La victoire prend alors une dimension mémorielle et spirituelle. Elle n’efface pas la tragédie, mais elle la transcende, transformant la douleur collective en hommage et en résilience.

Même les Jeux olympiques ont offert au monde des scénarios à la portée universelle. Jesse Owens, aux Jeux de Berlin en 1936, triomphe sous les yeux d’Adolf Hitler et réduit à néant le mythe de la supériorité raciale nazie. Quatre médailles d’or, un message silencieux mais implacable, et une victoire qui dépasse le sport pour devenir un acte de dignité humaine et de dénonciation du racisme.

Ces récits ne sont pas l’apanage des stades et des arènes sportives. La vie elle-même obéit souvent aux mêmes lois narratives. Barack Obama, outsider que peu prenaient au sérieux, devient le premier président noir des États-Unis. Abraham Lincoln, battu à de multiples élections, accumulant les échecs, finit par diriger son pays dans l’une des périodes les plus critiques de son histoire. Bassirou Diomaye Faye, inconnu du grand public, passe de la prison au palais présidentiel en l’espace d’un mois. Nelson Mandela, après vingt-sept années de captivité, sort libre pour conduire son peuple vers la réconciliation. Dans tous ces parcours, le même schéma apparaît: l’épreuve, l’attente, la foi, puis l’accomplissement.

Ces histoires nous rappellent une vérité essentielle: les grandes victoires ne sont jamais isolées. Elles s’inscrivent dans un récit plus large, souvent invisible sur le moment, mais évident une fois le chemin parcouru. Comprendre la story line, c’est accepter que l’échec, la patience et la douleur fassent partie intégrante du succès final. En sport comme dans la vie, celui qui perçoit le sens du scénario peut parfois imaginer la fin avant même le dernier acte.

Dès lors, une question demeure, ouverte et stimulante: quel sera le scénario de la CAN Maroc 2025? La consécration d’un pays hôte en quête de reconnaissance continentale? Le retour d’un géant africain à la recherche de rédemption?

L’émergence d’un outsider venu rappeler que le football africain reste le royaume de l’imprévisible? Une chose est certaine: le scénario est déjà en marche. Et comme toujours, l’Afrique saura offrir au monde une victoire dont le visage dépassera largement le cadre du sport.

Ndongo NDIAYE

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