Alors que le Sénégal entre de plain-pied dans l’ère de l’exploitation pétrolière et gazière, avec le démarrage de la production à Saint-Louis (gaz) et Sangomar (pétrole), les préoccupations environnementales et sanitaires liées aux émissions de méthane prennent une ampleur croissante. C’est dans ce contexte crucial que l’Institut de Gouvernance des Ressources Naturelles (NRGI), en collaboration avec les ministères de l’Énergie et de l’Environnement, a organisé un atelier de renforcement des capacités, réunissant des acteurs de la société civile et des communautés pour débattre des enjeux et défis de la réglementation de ces émissions.
Le méthane : un danger sous-estimé pour l’environnement et la santé
Madame Aida Diop NDIAYE, Responsable pays de NRGI, a d’emblée mis en lumière la dangerosité du méthane. « Ces opérations pétrolières et gazières peuvent s’accompagner avec aussi des défis liés à l’aspect environnemental, notamment aux émissions de gaz à effet de serre, particulièrement du méthane, qui est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que même le CO2 en termes de capacité de réchauffement, 26 fois ou 80 fois plus puissant que le CO2, » a-t-elle averti. La récente fuite observée au niveau du puits A02 de l’opérateur BP à Saint-Louis est un « signal » qui souligne l’urgence de cette thématique, trop souvent éclipsée par les débats sur la gestion des revenus et le contenu local.
Mme NDIAYE a rappelé l’expérience nigériane, où les activités de torchage du gaz ont entraîné des pertes économiques de plus de 4 milliards de dollars américains, sans compter les maladies causées aux communautés. Pour un pays comme le Sénégal, confronté à un besoin criant d’accès à l’électricité pour plus de 4 millions de ruraux, « on ne pourrait pas, par exemple, se permettre de perdre cette opportunité économique qui pourrait se retransmettre pour soutenir les besoins énergétiques du pays. » Au-delà de l’économie, l’enjeu est également « environnemental et aussi sanitaire. »
Des lacunes réglementaires et un appel à l’anticipation
Malgré une « dynamique d’engagement » saluée de la part du ministère de l’Énergie, Mme NDIAYE a pointé des « défis qui persistent ». Le cadre juridique et réglementaire reste « inachevé ». Si le code de l’environnement interdit le torchage de routine, les « situations exceptionnelles n’ont pas fait l’objet de détails pour pouvoir avoir une connaissance approfondie sur ces interdictions. » De plus, il n’existe pas de « réglementation spécifique liée aux émissions de méthane, ni par exemple de loi climat. »
Les émissions du secteur de l’énergie représentent 48% des émissions nationales, et la Contribution Déterminée au niveau National (CDN) actuelle du Sénégal ne contient pas de « disposition spécifique qui fait mention sur la gestion des émissions de méthane. » NRGI y voit une « opportunité » pour la prochaine révision de la CDN d’intégrer pleinement cette dimension. L’adhésion du Sénégal à l’ITIE, avec ses nouvelles exigences intégrant la transition énergétique, rend d’autant plus impérative la « divulgation des données » au niveau national, l’accès à l’information pour les Sénégalais, et la promotion de la « transparence et la redevabilité à travers également des mécanismes de gestion de plaintes. »
La voix des communautés : entre inquiétude et demande de clarté
Mamadou DIOUF, représentant les communautés de Sangomar, a exprimé les préoccupations directes des populations. « Ce méthane est un produit extrêmement dangereux. Il est malheureusement éjecté à l’issue des exploitations pétrolières et gazières, » a-t-il déclaré. Les îles du Saloum, une zone « assez sensible » déjà « confrontée au changement climatique avec la dégradation de l’environnement, de l’écosystème, avec la rareté des poissons, avec la rareté de la pluviométrie, » sont particulièrement vulnérables.
M. DIOUF a souligné le manque d’information des populations locales sur les protocoles d’urgence en cas de fuite et sur les impacts à court et moyen terme. « On ne sait pas, comme l’a dit tout à l’heure madame, s’il y a un incident relatif à l’émission, qu’est-ce qui va se passer, comment ça va se répercuter sur notre vécu quotidien, comment ça va nous impacter à court et moyen terme, on ne sait pas. » Il a salué le rôle de NRGI dans le renforcement des capacités locales et a promis de mener un « plaidoyer important » pour que le Sénégal « prenne en compte ces questions-là » dans ses lois et règlements.
Vers une réglementation et une transparence accrues
Les résolutions de l’atelier ont formulé des propositions concrètes pour que l’État « aille dans le sens de la mise en norme de nos lois pour qu’elles prennent en compte l’ensemble des provocations relativement à l’émission de méthane. » Les communautés demandent également que les entreprises « prennent toutes les dispositions pour minimiser les pertes, les émissions » et que des « taxes, s’il le faut, » soient mises en place pour réduire ces gaz « extrêmement dangereux pour l’avenir et pour la planète. »
Cet atelier marque un pas important vers une prise de conscience collective et une action concertée pour garantir que l’exploitation des hydrocarbures au Sénégal se fasse de manière responsable, transparente et durable, en protégeant les populations et l’environnement des risques liés aux émissions de méthane.