L’eau. Source de vie, berceau des civilisations. Mais pour un ancien sapeur-pompier comme moi, elle est aussi l’un des fléaux les plus insidieux et dévastateurs que j’aie jamais eu à affronter. J’ai vu le feu dévorer des maisons, les tôles se tordre sous les chocs d’accidents, et l’obscurité des eaux engloutir des vies. Mais les inondations… elles ont une façon bien à elles de s’infiltrer, de s’installer, de tout engloutir sur leur passage, avec la force brutale d’un jet bâton en pleine action. Au Sénégal, où chaque saison des pluies peut se transformer en épreuve, ce n’est pas une abstraction, c’est une réalité vécue. Et face à cette menace croissante, deux mots résonnent comme un crédo, des principes que nous appliquions déjà face aux flammes : la prévention et la prévision.
*La Prévention des Inondations :* Avant que l’Eau ne Devienne Ennemi
La prévention, c’est l’art d’anticiper, de construire des remparts avant même que la bataille ne commence. C’est un travail de longue haleine, une vision à partager, une collaboration constante entre toutes les forces vives de la nation. Pour nous, les sapeurs-pompiers, même si nos sirènes annoncent l’urgence, nous sommes aussi des témoins privilégiés des carences, des négligences qui transforment un risque en catastrophe.
Pourquoi cette course contre la montre est-elle si essentielle ?
Je me souviens des images qui hantent encore ma mémoire. À Richard Toll, à Kaolack, à Ziguinchor, j’ai vu des bidonvilles s’étendre dangereusement près des lits des cours d’eau, des systèmes de drainage qui n’étaient que de simples rigoles face à la furie du ciel. Des habitations sans la moindre protection, bâties comme si l’eau n’allait jamais monter. Et chaque fois, le même drame : des foyers dévastés, des années de labeur réduites à néant, des familles brisées par le choc et la perte. Combien de souffrances, combien de milliards dépensés en reconstruction(Plan Diakhaye) auraient pu être évités par une simple et solide démarche de prévention ?
Concrètement, nous avons toujours milité pour :
L’aménagement du territoire et un urbanisme réfléchi : La première ligne de défense, c’est de dire « non » aux constructions dans les zones inondables, de respecter ces zones « non aedificandi ». Les plans d’urbanisme ont évolué, oui, mais la pression foncière et les impératifs économiques sont de puissants adversaires. Notre voix, celle des pompiers, était souvent un cri d’alerte, un rappel des dangers imminents pour les vies humaines.
La sensibilisation du public : Une population informée est une population armée. Transmettre les bons réflexes ( comment couper l’électricité en urgence, où trouver un abri sûr, comment préparer un kit de survie minimal ) peut faire la différence entre la vie et la mort. J’ai vu des regards changer dans les réunions publiques, des citoyens prendre conscience de leur rôle vital.
Des systèmes d’alerte précoce : Même si cela sent déjà l’urgence, disposer de systèmes performants de détection des niveaux d’eau et de prévisions météorologiques est une nécessité absolue. C’est la montre qui permet d’orchestrer l’alerte, de donner aux populations le temps précieux de se préparer avant que l’eau ne déferle.
*La Prévision des Inondations :* Quand l’Inévitable Devient Maîtrisable.
Si la prévention est l’art de bâtir pour ne pas subir, la prévision est celui de se préparer à l’inéluctable. Quand la crue arrive, il faut anticiper son ampleur, ses trajectoires, et organiser la riposte. Pour nous, sapeurs-pompiers, la prévision, c’est l’assurance de notre efficacité sur le terrain, notre boussole dans le chaos.
Pourquoi cette anticipation est-elle un gage de vie face aux eaux déchaînées ?
Quand l’inondation frappe, le monde bascule. Les routes s’effacent, les communications sont coupées, les victimes se retrouvent isolées, parfois agrippées à un toit, le regard rempli de désespoir. Grâce à une prévision rigoureuse, nous savions où aller, comment y aller. Nous pouvions positionner nos embarcations, organiser des évacuations préventives, et coordonner nos efforts avec les forces de défense et de sécurité, les hôpitaux, les services techniques. C’était la clé pour sauver des vies et éviter que le désordre ne se mue en catastrophe humanitaire.
Comment cette prévision prenait-elle forme sur le terrain ?
La cartographie des zones à risque : Connaître le terrain, c’est la base. Savoir quelles zones allaient être touchées, à quelle hauteur l’eau allait monter, nous permettait de visualiser les points critiques, les itinéraires de secours. À Touba, où j’ai servi, le quartier de Keur Niang était notre hantise. J’ai vu des familles entières abandonner leurs maigres biens, d’autres, sans alternative, choisir de braver les eaux, cohabitant avec le danger. Des images que l’on n’oublie pas.
L’élaboration de plans d’intervention (P.O.I., PPI, PLAN NATIONAL ORSEC) : Ce sont nos partitions, des chefs-d’œuvre de logistique où chaque rôle est défini, chaque procédure d’alerte tracée, chaque point de rassemblement établi, et chaque moyen (embarcations, motopompes, équipes de sauvetage aquatique…) alloué. Nous avons activement participé à leur rédaction et à leur mise à jour en collaboration avec la Direction de la Protection civile dont nous sommes les bras armés, des documents vitaux qui sauvent des vies.
Le recensement des moyens : Savoir précisément combien de Zodiac sont disponibles, combien de motopompes sont opérationnelles, où se trouvent nos équipes spécialisées, c’est l’art de la mobilisation rapide. Je me souviens encore du Plan ORSEC Régional déclenché à Saint-Louis : j’étais alors à la Direction de la Protection Civile et ma mission, la toute première, fut de documenter et recenser chaque moyen disponible, partout sur le territoire, pour le plan national d’organisation des secours. Chaque week-end, je me rendais à Saint-Louis, non pas en touriste, mais pour apporter le soutien vital (carburant, sacs à terre, alimentation…) que la DPC, au sein du ministère de l’Intérieur, gère pour les opérations ORSEC. Et comment oublier les inondations à Diamaguène et Diacksao, où la solution préconisée fut de remblayer les rues submergées par du sable de dunes ? Le lieu d’extraction ? La Gendarmerie (LGI) de Mbao. Une Vingtaine de camions, sous ma surveillance, faisaient des rotations incessantes, à longueur de journée, pour apporter un peu de répit à ces populations accablées.
Les exercices de simulation : Rien ne remplace la sueur de l’entraînement. Régulièrement, nous menions des exercices grandeur nature avec les autres services, souvent dans des conditions extrêmes, pour tester nos plans, affiner notre coordination. Le 1er mars, Journée internationale de la protection civile, était toujours l’occasion de monter un scénario de simulation grandeur nature, pour ne jamais être pris au dépourvu.
La surveillance hydrologique et météorologique : Le suivi en temps réel des niveaux des cours d’eau et des prévisions de pluie, c’est notre bulletin météo de l’urgence. Il nous permet de déclencher les alertes au bon moment et d’anticiper la chronologie exacte de la crue.
*Inondations* : La Sécurité, un Engagement Commun
La prévention et la prévision, qu’il s’agisse de combattre le feu ou de maîtriser la fureur de l’eau, sont les deux faces d’une même pièce : celle de notre résilience face aux risques majeurs. Mon parcours m’a appris que la force réside dans la synergie, dans les efforts conjugués des citoyens, des élus et des services de secours.
Un citoyen informé, qui sécurise son habitation ; une commune qui aménage son territoire avec clairvoyance ; et des sapeurs-pompiers préparés, formés, et équipés : voilà les maillons essentiels d’une chaîne de sécurité robuste et inébranlable. Face à la puissance brute de la nature, notre meilleure arme n’est pas la force, mais l’anticipation et la préparation.
Samba Tène GAYE dit Nawel
Adjudant (ER) Sapeur-pompier
Chargé d’études au PAD
Conseiller Municipal CDD