Il y a quelque chose de désespérant dans le Sénégal. Rien de plus indigne qu’être étudiant sous le régime de Macky Sall. Depuis 2012, le mensonge et le mépris ont été le plat le mieux servi à ceux qui entrent à l’université. Qui ne se souvient pas des propos de Mme Thérèse Faye disant qu’avec l’accession de son leader à la magistrature suprême, les bourses connaîtraient une hausse ? Si j’ai bonne mémoire, elle avait dit 50 000F !
Le premier paiement des bourses sous Macky Sall s’est effectué bien avant la fin du mois. Que de joie sur les visages. Ceux que j’avais rencontrés à l’agence Ecobank des Parcelles Assainies, non loin de la Police, misaient sur le sérieux et la considération d’un régime que le Sénégal attendait. Que ne fut hideux le dévoilement du vrai visage d’un régime qui était vu comme le rédempteur ! Finalement, c’est le meurtre impuni perpétré sur des étudiants que l’histoire retiendra de Macky Sall. Des étudiants meurent et l’État ment en rendant véridique le propos nietzschéen : « le plus froid des monstres froids » !
J’ai de la peine pour mon pays. L’élite de demain reçoit des balles assassines et on la condamne d’être auteur de sa propre destruction. Après Bassirou Faye, c’est Mouhamadou Fallou Sène qui nous rappelle que la bêtise humaine a un bel avenir dans ce pays. Il faut de la lucidité pour comprendre que le souci constant de nos gouvernants est l’accumulation des privilèges. Une caste honteuse qui travaille dans le maintien d’une logique de sa reproduction génétique. Effectivement, les gouvernants envoient leurs enfants dans les plus prestigieuses universités du monde avec l’argent du contribuable. Les universités sénégalaises sont laissées à elles-mêmes parce que fréquentées par les enfants des pauvres. Oui, être un fils de paysan au Sénégal et accéder à l’université de Dakar, Saint-Louis Bambey, Ziguinchor ou Thiès est un signe que le Sénégal est sur les rampes de l’émergence. Quelle insulte !
Finalement, c’est une preuve de bonne foi que de reconnaitre que l’État donne les bourses pour la bonne formation de ses enfants. C’est là où l’hypocrisie s’impose sous le manteau de la vérité d’État. Nietzche a fatalement raison ! De là, nous pouvons dire que l’État n’a plus le monopole de la violence légitime, mais le légitime monopole du mensonge bien établi. L’État ment beau pour protéger la patrie en danger.
Ce qui fait mal c’est la manipulation sans état d’âme d’un acte flagrant avec des termes édulcorés. Le communiqué du gouvernement inspire la nausée, car la main sale est dans la poche. Dire que c’est la faute aux étudiants, c’est procéder par une délégation de l’horreur. En homme politique avisé et soucieux de la justice dans la société, de la droiture en chaque homme et de l’humilité chez chaque chef, fut-il président de la république, Victor Hugo nous interpelle en ces termes : « En général, quand une catastrophe privée ou publique s’est écroulée sur nous, si nous examinons, d’après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s’est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu’elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s’admirait. Il y a par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences. ».
Un État sérieux se soucie constamment du bien-être des citoyens. Ces derniers participent au corps social avec des privations extrêmes. Un enfant qui part à l’université est déjà quelqu’un qui a investi au moins treize ans de sa jeune vie aux études. Et la famille attend autre chose que de recevoir son corps sans vie parce qu’il réclamait son dû. Rappelons que le gouvernement Sall a redéfini les conditions d’octroi de bourses aux étudiants au point que tout bénéficiaire peut s’enorgueillir d’en être le méritant absolu. La privatisation de nos universités publiques est en cours.
Pourquoi faire une autopsie, déchiqueter un corps sous la fine lumière de la science médicale pour prétendu situer les causes de la mort alors que les actes ayant entrainé la mort de Fallou Sène sont vus et situés ?
Je ne serai point surpris de voir une mascarade d’enquêtes et de procès qui accusent et culpabilisent des innocents pour faire diversion. Le peuple ne verra jamais ce qui se passe derrière les rideaux. Mauvaise foi, quand tu nous tiens ! Une représentation digne de la théâtralisation nous sera offerte en guise de garantie que l’État est en train de faire toute la lumière. Et une malheureuse formule qui renseigne plus sur la bêtise de ceux qui la tiennent que sur autre chose nous sera servie avec l’air d’un académisme révolu : le temps de la justice n’est pas le temps ordinaire des hommes. Que de formules creuses !
Il y a de l’atrocité dans l’acte de jeter des coups aveugles à la jeunesse, de la méchanceté dans le fait de torturer gratuitement des jeunes qui s’indignent, de la barbarie sous le projet de tuer des espoirs de famille. Mais le plus grand coup, c’est la cupidité avec laquelle on protège les meurtriers. La souillure est devenue une onction de bravoure chez nos dirigeants. Si la manipulation des gouvernants gagnent sur la vérité des faits, la conscience, elle, demeure en alerte et pourra sombrer quand sonnera l’heure d’engager l’autre pente de la destinée humaine. Le pouvoir politique a un terme. Les hommes qui l’exercent sans un sens de l’histoire affrontent leur ombre hideuse dans l’absolu isolement.
De Balla Gaye à Fallou Sène en passant par Bassirou Faye, l’État sénégalais ne traite les étudiants qu’en ridicules choses qui encombrent et indisposent. Les mots qu’auraient prononcés Fallou Sène, en demandant pardon à sa mère de n’avoir pas réussi à l’aider et de mourir sans l’avoir vu, ont toute la force d’attendrir un démon. Mais, si le pouvoir qui peut diaboliquement transformer son homme bouche les oreilles et ferme les yeux de nos gouvernants au point qu’ils ne peuvent ni entendre la clameur ni voir la détresse, c’est que, finalement, les Sénégalais ont fait le mauvais choix en 2012.
Je vois en chaque étudiant du pays un martyr en puissance. Si Fallou avait su qu’il ne verrait pas, sur cette terre, ce soleil du 15 mai se coucher à l’autre bout de la belle ville de Saint-Louis, il aurait demandé au temps de suspendre son vol. Mais puisqu’en pauvres mortels, nous ne sommes que de Misérables charges sur le dos de l’État, l’indifférence et l’amateurisme qui auréolent l’ethos de ceux qui sont investis de la confiance populaire sont les seuls signaux qu’il nous est donné de voir.
Puisse Dieu venir en aide à ceux qui ne semblent avoir dans la poitrine qu’un morceau de fer et de la boue dans la tête. Mouhamadou Fallou Sène, repose en paix !
Ibou Dramé Sylla
Étudiant à l’Ucad
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