Le think tank ouest-africain a célébré sa première décennie à Dakar sur fond d’alertes face à la régression de l’intégration régionale et à l’instabilité politique. Une occasion de réaffirmer le rôle crucial de la connaissance et de l’indépendance intellectuelle pour l’avenir du continent.
Célébrer une décennie de réflexion pour mieux armer la prochaine. Tel était l’enjeu du colloque anniversaire de WATHI qui s’est tenu ce jeudi à l’hôtel Azalaï de Dakar. Loin d’une simple commémoration, l’événement a été une puissante tribune sur l’état de l’Afrique de l’Ouest et sur le rôle capital, bien que souvent sous-estimé, des centres de recherche dans la construction de son avenir.
Fondé il y a dix ans, le Think Tank Citoyen de l’Afrique de l’Ouest a réuni acteurs de la société civile, chercheurs et partenaires pour un bilan sans concession et un plaidoyer vibrant pour l’intelligence collective.
Un « Think Tank Citoyen » dans une région en crise
« Ce que nous avons voulu faire, c’était de mettre à la disposition de l’Afrique de l’Ouest une plateforme de réflexion ouverte à tous les citoyens, » a rappelé Gilles Olakounlé Yabi, fondateur et directeur exécutif de WATHI. Cette vocation citoyenne, qui vise à rassembler des personnes « conscientes du bien commun », résonne avec une urgence particulière aujourd’hui.
Dans un discours inaugural lucide, M. Yabi a dressé un tableau « plutôt préoccupant » de la région. « Il y a dix ans, on voyait déjà des signaux négatifs, » a-t-il concédé, « mais on ne pouvait pas imaginer qu’on aurait eu la série de coups d’État, qu’on aurait eu autant de zones aujourd’hui concernées par l’insécurité. »
Le constat est sévère : au-delà de la crise sécuritaire qui gangrène le Sahel, c’est l’édifice même de l’unité régionale qui vacille. « On a aussi aujourd’hui un recul de l’intégration régionale et ça, ça nous préoccupe fortement, » a-t-il martelé, déplorant une tendance à la « fragmentation ». Face à un monde « dangereux » et « brutal », son appel est clair : « Nous avons besoin d’être ensemble et nous avons surtout besoin d’éviter la fragmentation. »
L’influence discrète mais réelle des idées
Alors que les crises s’accumulent, quel est le poids réel des think tanks ? « On n’est pas suffisamment écouté, ça c’est certain, » admet Gilles Olakounlé Yabi. « On est entendu parfois. » C’est dans cette nuance que réside l’impact de WATHI. L’idée n’est pas seulement d’influencer directement les décideurs, mais de nourrir le débat public dans son ensemble.
« On n’est jamais capable de savoir à quel point l’idée qu’on a véhiculée va déclencher un processus, » explique-t-il, soulignant que « tous les citoyens sont des agents de changement ». En ouvrant ses tables rondes virtuelles au plus grand nombre, WATHI œuvre à « augmenter la quantité de connaissances en chacun », une démarche essentielle pour inspirer des actions individuelles et collectives éclairées.
WATHI, une « locomotive » pour l’écosystème intellectuel
Le rôle pionnier de WATHI a été salué par le Dr Cheikh GUÈYE, secrétaire général du réseau sénégalais de Think Tank. Qualifiant WATHI de « vraie locomotive » et d' »exemple » pour ses pairs, il a loué sa capacité à produire des analyses rigoureuses et à organiser des dialogues politiques influents.
« L’influence sur les politiques publiques est notoire, » a affirmé le Dr GUÈYE, tout en reconnaissant la difficulté de la mesurer précisément. « Les exemples foisonnent où les recherches de Think Tank ont eu un impact sur des lois qui ont été votées, des décisions qui ont été prises. »
Tourné vers l’avenir, le Dr GUÈYE voit d’immenses opportunités. Le numérique et l’intelligence artificielle pour démultiplier la production et la diffusion des savoirs. La jeunesse, dont « l’engagement » et l’appétit pour la recherche constituent une force de renouvellement. Et surtout, la demande croissante des États eux-mêmes, confrontés à des défis économiques et politiques qui exigent des analyses pointues.
Toutefois, une condition est non négociable : l’indépendance. « C’est très très important que nous ayons une certaine indépendance, » a-t-il insisté. Conscient de la dépendance aux financements des partenaires internationaux, il a lancé un défi à l’ensemble de l’écosystème : « Nous devons apprendre à voler de nos propres ailes. »
En clôture de cette décennie, le message de WATHI et de ses partenaires est unitaire : face aux périls, la souveraineté de l’Afrique de l’Ouest passera inévitablement par sa capacité à produire, diffuser et s’approprier ses propres savoirs pour forger son propre destin.
Pour approfondir les réflexions et entendre les interventions marquantes de cet anniversaire, nous vous invitons à visionner la vidéo de l’événement.