Sous la direction du Professeur Demba Diédhiou, l’établissement centenaire réaffirme son rôle de pionnier dans la lutte contre une pathologie devenue un enjeu majeur de santé publique
Ce 14 novembre, jour de la célébration de la Journée mondiale du diabète, l’Hôpital Abass Ndao a marqué cette date symbolique avec un renouvellement d’engagement envers la prévention, le dépistage précoce et la prise en charge intégrée du diabète. À la tête de cette mobilisation, le Professeur Demba Diédhiou, fraîchement nommé directeur général de l’établissement centenaire, a dressé un portrait sans complaisance de la situation en Afrique de l’Ouest, tout en présentant une vision ambitieuse pour transformer les services de l’institution.
Une Pathologie Devenue un Fléau Public Incontournable
« Le diabète est un problème de santé publique, cela veut dire une pathologie qui est préoccupante », a affirmé le Professeur Diédhiou, établissant d’emblée la gravité de la situation. Cette préoccupation n’est nullement exagérée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : actuellement dans le monde, une personne sur dix vit avec le diabète. Au Sénégal, la situation est tout aussi alarmante. Selon la dernière enquête STEP datant de 2024, entre quatre et cinq Sénégalais sur cent sont concernés par cette maladie chronique.
Cette prévalence croissante n’est que la partie visible de l’iceberg. Le directeur de l’établissement souligne que « l’ampleur de cette pathologie » ne constitue que l’un des défis majeurs. Les complications associées au diabète représentent un fardeau tout aussi lourd : atteintes du système cardiovasculaire, dégénérescence oculaire, insuffisance rénale et ulcérations des membres inférieurs transforment de nombreuses vies en calvaire.
La trajectoire de ces complications souligne pourquoi l’institution a choisi le thème « Diabète en milieu de travail » pour cette édition 2024-2025 de la Journée mondiale. Derrière ce thème résonne une question fondamentale : comment permettre aux personnes atteintes de diabète de continuer à exercer une activité professionnelle productive et épanouissante ?
Neuf Décennies d’Excellence : L’Hôpital Abass Ndao, Pionnier Incontesté
Fondé en 1935, l’Hôpital Abass Ndao célèbre cette année ses quatre-vingt-dix ans d’existence. Progressivement, cet établissement s’est transformé en l’une des institutions les plus prestigieuses du continent africain, culminant avec la création, en 1965, du Centre national de lutte contre le diabète Marc Sankalé. Ce centre, avec son bâtiment moderne inauguré en 1992 par le Président Abdou Diouf, demeure le premier établissement spécialisé en diabétologie en Afrique.
Aujourd’hui, le Centre Marc Sankalé prend en charge environ 40 000 diabétiques enregistrés. Chaque année, entre 2 000 et 2 500 nouveaux cas y sont diagnostiqués et intégrés au système de soins. Ces chiffres reflètent non seulement la croissance de la prévalence du diabète, mais aussi la réputation incontestée que l’établissement s’est bâtie auprès des populations de tout le Sénégal et au-delà .
« L’Hôpital Abass Ndao est au cœur de la prise en charge du diabète depuis presque 50 ans », affirme le Professeur Diédhiou. « C’est un hôpital qui est construit autour du diabète avec toutes les composantes allant de la prévention jusqu’à la gestion des complications extrêmes. »
Des Flux Massifs, une Capacité Saturée
Les chiffres d’affluence quotidienne du Centre Marc Sankalé témoignent de l’urgence de la situation. Le minimum de 200 Sénégalais qui se présentent chaque jour pour les soins du pied diabétique, auxquels s’ajoutent 100 autres pour l’éducation thérapeutique, démontre clairement que l’établissement opère bien au-delà de ses capacités nominales.
Ces files d’attente sans fin, ces patients qui parfois voyagent de plusieurs centaines de kilomètres, reflètent une réalité paradoxale : l’établissement possède une réputation exceptionnelle précisément parce qu’il arrive à maintenir une qualité de soins relativement élevée malgré des moyens limités. Cependant, cette qualité se détériore inéluctablement sous le poids de la demande. Les patients, autrefois suivi trimestriellement selon les bonnes pratiques internationales, ne reçoivent désormais qu’une ou deux consultations annuelles.
Une Reconstruction Ambitieuse : La Vision pour Demain
Conscient de ces limites, le Professeur Diédhiou a présenté les plans architecturaux d’un Centre Marc Sankalé réinventé. Ce projet de rénovation comprend un bâtiment R+3 (régime trois étages) conçu pour offrir une prise en charge véritablement intégrée.
Structure et services prévus
La structure proposée transformera radicalement la capacité et la qualité des services offerts. Le nouveau centre pourra hospitaliser un minimum de 50 patients, disposera d’espaces dédiés à la consultation médicale, offrira des services spécialisés en podologie pour le traitement des pieds diabétiques, et abritera un secteur entièrement dédié à l’éducation thérapeutique.
Cette dernière composante revêt une importance capitale. Le secteur d’éducation thérapeutique ne s’adressera pas uniquement aux patients diagnostiqués avec un diabète. Il ouvrira ses portes à l’ensemble de la population sénégalaise pour promouvoir l’adoption de comportements sains. Les ateliers couvriront l’art de bien cuisiner, les principes d’une activité physique adaptée à chaque profil, la prévention de l’obésité, et les stratégies pour éviter les complications du diabète avant qu’elles n’émergent.
« On vient de vous présenter le plan architectural du futur centre Marc Sankalé, un R+3 qui va de la consultation jusqu’à la gestion du pied diabétique, sans oublier certainement à la prise en charge du personnel lui-même qui s’occupe de ces malades diabétiques », a énuméré le professeur.
Un engagement envers les soignants
Élément novateur, les plans incluent une section dédiée à la santé des personnels hospitaliers. Cette reconnaissance que les professionnels de santé eux-mêmes méritent un soutien pour gérer leur propre santé marque une maturité dans la conception des établissements hospitaliers modernes.
Le Défi du Financement
Malgré l’excellence des plans architecturaux et la clarté de la vision stratégique, un obstacle majeur demeure : le financement. Le Professeur Diédhiou ne cache pas cette réalité : « Ce n’est qu’un projet qui certainement nécessite la recherche des financements. »
Cependant, cette réalité financière occulte une crise plus profonde. L’Hôpital Abass Ndao, institution d’utilité publique majeure, traverse actuellement une période de turbulences budgétaires inquiétantes. Depuis 2003, l’établissement n’a reçu aucune subvention de fonctionnement ou d’investissement du gouvernement sénégalais, malgré des besoins annuels estimés à 800 millions de francs CFA. Cette absence de soutien contraste fortement avec l’aide financière régulièrement accordée à d’autres établissements hospitaliers du pays.
La situation s’est aggravée récemment avec les coûts liés aux recrutements : l’établissement a déboursé 200 millions de francs CFA supplémentaires cette année pour régulariser la situation de 195 agents, dont 80 ont déjà été intégrés en 2025. Sous cette pression budgétaire croissante, l’institution fait face à un déficit d’exploitation qui menace sa viabilité même.
Au-Delà du Centre de Soins : Une Philosophie d’Adaptation Professionnelle
Le Professeur Diédhiou incarne une perspective novatrice de la médecine du travail. Combinant l’expertise de diabétologue, d’endocrinologue, d’interniste et de médecin du travail, il défend une vision radicale : plutôt que d’exiger que les personnes vivant avec des maladies chroniques s’adaptent à l’environnement professionnel existant, c’est aux entreprises de s’adapter à ces personnes.
« L’accompagnement d’une entreprise à ma qualité de médecin du travail, c’est comment en réalité l’entreprise pourrait s’adapter à la personne », explique-t-il. Actuellement, les structures professionnelles obligent les salariés diabétiques ou atteints d’autres pathologies chroniques à accepter les conditions de travail telles qu’elles existent. Cette approche, jugée par le Professeur Diédhiou comme anachronique, doit être inversée.
Une Population Active Croissante avec des Pathologies Chronique
Le professeur souligne une réalité démographique inévitable : « Avec le vieillissement de la population, avec l’extension de la population, on va se retrouver rapidement dans les entreprises avec des personnes qui présentent des pathologies chroniques non transmissibles. »
Cette prospective rend urgent la mise en place de services de médecine du travail adaptés dans les entreprises sénégalaises. Ces services devront pouvoir évaluer les profils médicaux individuels et proposer des postes de travail adéquats. L’objectif ne relève pas seulement d’une éthique de la bienveillance : c’est une stratégie de productivité.
« Surtout faire en sorte que ces personnes puissent s’épanouir, parce que c’est dans l’épanouissement qu’on peut faire des résultats qui sont probants et aider l’entreprise à être productive », affirme le Professeur Diédhiou. Un employé épanoui, capable de gérer sa condition médicale dans un environnement adapté, constitue un atout majeur pour toute organisation.
Un Appel à la Mobilisation Nationale
À l’occasion de la Journée mondiale du diabète 2024, le Professeur Diédhiou lance un appel explicite aux autorités sénégalaises. L’Hôpital Abass Ndao, loin d’être une propriété privée d’une poignée de médecins, appartient à l’État sénégalais et au peuple du Sénégal. En tant que tel, son financement adéquat constitue un investissement dans la santé collective, non une dépense marginale.
Le Centre Marc Sankalé, centre de référence nationale et continentale, doit disposer des moyens de diagnostic et de traitement les plus modernes. Pour que cet établissement puisse répondre à la demande croissante des populations, une volonté politique forte doit se traduire par des engagements budgétaires concrets.
Du Soin À la Prévention, Un Continuum Nécessaire
La Journée mondiale du diabète 2024, telle que célébrée à l’Hôpital Abass Ndao, ne se réduit pas à une commémoration rituelle. Elle constitue une mobilisation réelle autour d’une réalité sanitaire préoccupante et d’une vision transformatrice.
Le Professeur Demba Diédhiou et son équipe rappellent une vérité fondamentale : le diabète est « certainement une pathologie évitable ». Cet énoncé simple porte en lui toute la promesse d’une approche préventive bien implantée. Plutôt que de se résigner à traiter les complications du diabète chez des millions de Sénégalais, la priorité doit être d’empêcher l’émergence de la maladie par l’éducation, l’adaptation des modes de vie, et le dépistage précoce.
Sous le leadership du Professeur Diédhiou, l’institution historique franchit une nouvelle étape de son évolution. Elle demeure fidèle à sa mission de prise en charge exemplaire du diabète, tout en se projetant vers un rôle plus large dans la promotion de la santé et l’adaptation des lieux de travail. L’Hôpital Abass Ndao, neuf décennies après sa fondation, continue à écrire les pages d’une histoire médicale africaine d’excellence. Mais cette histoire ne pourra se poursuivre que si les autorités nationales reconnaissent l’importance cruciale de soutenir cette institution au service de tous les Sénégalais.
Retrouvez sur la vidéo ci-dessous la réaction du professeur Demba DIÉDHIOU.