Le Musée des Civilisations Noires de Dakar est devenu, pour deux jours, l’épicentre d’une réflexion panafricaine majeure avec la tenue du colloque international « Le Muntu en mouvement ». Organisé les 22 et 23 octobre, cet événement réunit artistes, intellectuels, activistes et universitaires du continent pour explorer les imaginaires, savoirs autochtones et luttes créatives qui animent l’Afrique contemporaine.
Soutenu par la Coopération espagnole (AECID/ACERCA) et le Musée des Civilisations Noires, le colloque s’est donné pour ambition de créer un espace de dialogue unique, où la pensée critique rencontre l’expression artistique et l’engagement citoyen.
Repenser l’Afrique depuis l’Afrique
L’initiative, co-dirigée par le producteur espagnol Pere Ortín, l’enseignant-chercheur sénégalais Saïba BAYO et l’artiste multiforme Moussa SÈNE Absa, s’est articulée autour de la notion centrale de « Muntu ». Ce terme, issu des langues bantu et popularisé par le philosophe Fabien Eboussi Boulaga, désigne l’humain dans sa condition africaine – un être défini par l’histoire, le lien social, la solidarité et la responsabilité.
« Le Muntu, c’est en quelque sorte l’humanité dans sa condition africaine qui s’affirme, tenant compte de son histoire, essayant de comprendre l’enjeu du moment, mais qui n’a pas besoin d’affirmer ni une authenticité […] ni de participer à sa propre aliénation, » a expliqué Saïba BAYO.
Le colloque explore cette ontologie à travers quatre axes thématiques majeurs :
– Art, espace public et participation citoyenne
– Femmes africaines et spiritualité
– Savoirs ancestraux et technologies du futur
– Paix, sécurité et développement durable
Une Volonté de Dialogue et de Résistance
Pour Moussa SÈNE Absa, l’un des co-organisateurs, cette rencontre répond à « une véritable envie de réfléchir sur qui nous sommes, où nous allons ». Il a souligné la résilience historique du peuple africain face aux dominations et aux violences : « C’est le seul peuple au monde qui a vécu autant de choses aussi dures, mais qui encore aujourd’hui tient debout. »
Selon lui, le concept de « Muntu » doit aider à comprendre cette résistance et à l’utiliser pour aller de l’avant. Il a également lancé un appel vibrant à la jeunesse africaine : « C’est à eux de construire ce pays, ce continent, c’est à eux d’aller chercher la connaissance, le savoir, et d’être décompressés complètement. » Il a insisté sur la nécessité de déconstruire les narratifs négatifs (« L’Afrique est sous-développée, l’Afrique est pauvre, l’Afrique est surpeuplée. Tout ça c’est faux. ») par une recherche active des éléments de contradiction.
Une Coopération Basée sur l’Écoute
Eloisa Vaello MARCO, Sous-directrice de la Coopération culturelle espagnole, a insisté sur le rôle de l’Espagne comme accompagnateur logistique plutôt que comme protagoniste. « L’Espagne doit apprendre à écouter si les autorités espagnoles veulent vraiment travailler en coopération avec l’Afrique. Elles doivent commencer à écouter les Africains. Et ce sont les Africains qui doivent être les protagonistes de leur propre voix, » a-t-elle affirmé. Elle a également mis en garde contre une vision réductrice de la culture africaine, rappelant qu’elle englobe « l’oralité, les formes d’organisation », bien au-delà des seules manifestations artistiques.
Un Diagnostic du Présent pour Réinventer l’Avenir
« Le Muntu en mouvement » s’est voulu plus qu’un simple colloque académique. Il a offert un diagnostic du présent africain, à un moment où le continent est engagé dans une profonde réappropriation de ses récits et de ses langages. En réunissant des penseurs et créateurs du Sénégal, Cameroun, Ghana, Kenya, Congo et de Guinée Équatoriale, l’événement a invité à une réflexion collective sur la manière de réinventer le destin de l’humanité depuis l’Afrique.
Le public, venu nombreux, a participé activement aux débats, confirmant l’aspiration à un espace où la pensée devient action et la création, un acte politique. Comme l’a conclu l’un des organisateurs : « L’Afrique ne se contemple pas : elle se pense, elle agit, elle se réinvente. »
Retrouvez les différentes réactions sur la vidéo ci-dessous.