Mon existence professionnelle, débutée avec l’éclat de l’Armée sénégalaise en 1990, est celle d’un engagement inconditionnel, d’une fidélité sans faille à la République. Pendant 28 années, j’ai été l’homme du terrain et l’homme de l’administration, validant l’excellence de mon service par 11 diplômes militaires (du CASIS au Brevet de Technicité, incluant le prestigieux Certificat Inter-Armes – CIA) et administratifs(CP au BE2/AG). J’ai passé de longues années à protéger et servir, du feu de Dakar-Bango aux arcanes feutrés du Ministère de l’Intérieur. J’ai tout donné.
Pourtant, cette carrière, que je voulais droite et honorable, a été brisée par trois vagues d’une injustice si profonde qu’elle a laissé des cicatrices indélébiles. Mon histoire est celle d’un serviteur loyal, devenu, malgré lui, un pion sacrifié sur l’échiquier des puissants.
1. La Déportation à Kaolack : Quand le pion devient l’arme des généraux (L’amertume du 11/09/ 2001)
Ma première chute fut la plus sidérante, car elle m’a révélé la cruauté absurde de la politique administrative. En 1996, j’étais Sapeur de 1ère classe, un élément précieux affecté aux bureaux climatisés de la Direction de la Protection Civile (DPC). J’étais un rouage essentiel, mais je suis devenu le butin d’une guerre de chefs entre le Commandant du GNSP, le Colonel Chérif Aliou BA (CAB), et le Directeur de la Protection Civile, Monsieur Abdoulaye NDIAYE.
Pour déstabiliser son adversaire, le Colonel CAB a décidé de frapper au cœur : retirer les « meilleurs éléments » du Directeur. J’ai été désigné pour une affectation punitive à Kaolack. J’ai vu l’arbitrage du Ministre de l’Intérieur, le Général Pathé SECK, basculer sous la menace du Colonel CAB de « retirer ses galons » si la décision d’affectation n’était pas exécutée. J’étais un militaire, et l’ordre, même inique, devait être obéi.
L’humiliation fut totale. Le message de mise en route me traitait moins comme un soldat que comme un colis : le Commandant de Kaolack devait rendre compte de mon arrivée dès l’instant même, comme une simple lettre avec accusé de réception. Passant brutalement des bureaux climatisés du Ministère à la chaleur accablante de Kaolack, je me suis demandé, le cœur brisé : « Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter cela ? » Ce fut la fin de mon innocence professionnelle, le goût amer d’être une victime collatérale.
2. Ziguinchor : La main du destin et le deuil à distance (La Tragédie Inexpiable)
La deuxième affectation fut une véritable tragédie. Après avoir fait mes preuves à Richard Toll, où j’avais été le premier Caporal à être nommé chef comptable, j’ai fait une demande déchirante : retourner à Dakar pour veiller sur ma mère. Elle était diabétique insulino-dépendante, non-voyante et venait de subir deux amputations successives de sa jambe jusqu’au genou. C’était une question de vie et de mort, d’amour filial.
L’accord de l’autorité militaire était donné. Logique, humaine. Mais une main invisible et perverse a déchiré cette promesse. Au lieu de la capitale, je fus parachuté à Ziguinchor, à l’extrême Sud. Le saut du Nord au Sud, sans considération pour mon drame familial, fut une cruauté d’une insensibilité sans nom.
Cette distance m’a coûté l’essentiel. Elle mourut alors que j’étais encore loin d’elle. Le service avait vaincu l’amour d’un fils. Chaque jour passé à Ziguinchor, puis à Touba, Rufisque, Malick Sy ou au CICO (Cadre d’Intervention Interministériel des Opérations de Lutte Antiterroriste), portait le poids de ce regret insoutenable. Ma fidélité à l’uniforme m’avait volé le droit d’accompagner ma mère dans ses derniers instants. Une blessure que l’on ne referme jamais.
3. L’Effacement au Port Autonome de Dakar : Le vide après la loyauté (Le Coup de Grâce)
Après 28 ans de service au feu, j’ai tenté une reconversion au Port Autonome de Dakar (PAD) en 2017, auprès d’Aboubacar Sédikh BÈYE. J’ai mis ma loyauté à son service. Mais son départ a entraîné ma troisième et ultime chute.
Sous le nouveau DG, Mountaga SY, j’ai vécu 22 mois d’une humiliation glaciale : le statut de fantôme. Rejeté du Cabinet et de mon poste au COP par un chef dont la seule peur était ma compétence, je fus condamné à « Tok mouy dokh » – rester chez moi et percevoir un salaire. C’est le supplice du vide pour un homme de devoir.
L’espoir a brillé à nouveau avec le DG Waly Diouf BODIANG. Je suis revenu, j’ai prouvé ma valeur. Le 27 Novembre 2025, la consécration semblait acquise : ma nomination au poste de Chef de Division de la Sécurité et Protection de l’Environnement par décision du DG. Enfin, la reconnaissance !
Pourtant, la main implacable du destin a frappé une dernière fois. Une nouvelle décision a annulé la première. Et plus cruel encore : alors que mes trois autres collègues ont été remplacés, mon poste, lui, a été tout bonnement effacé. J’ai été gommé, retiré de l’organigramme pour des considérations politiques, comme si 36 ans de bons et loyaux services n’avaient jamais existé. L’effacement est le coup de grâce. Pour un homme en fin de carrière, c’est une déception totale qui confine au désespoir, la preuve amère que l’on peut être brisé après avoir tout donné à son pays.
Samba Tène GAYE
Adjudant(ER) Sapeur-Pompier
Chargé d’études 3ème degré au Port Autonome de Dakar.
